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Mes villages par la presse
24 octobre 2012

Availles Limouzine - Election municipale en 1892 : Lettre de ... à Roger de Mascureau

La Semaine du 29/05/1892 : Journal Politique Agricole et Commercial

On nous écrit de X..., canton d'Availles :

A M. Roger de Mascureau châtelain du boucher, blackboulé a la neuvième puissance.

Maintenant qu'au lendemain des élections, votre colère doit être apaisée, bien que vous ayez encore le cœur gros, permettez à un vieil électeur de votre canton de converser un peu avec vous. Daignez lui accorder quelques minutes d'entretien ; il ne veut que vous parler de votre conduite passée, de celle que vous avez eue à la veille du 1er mai, et de celle que vous devez avoir dans l'avenir. Je ne me permettrai pas de vous parler de votre conduite dans la vie privée bien que je la connaisse à fond.

Encore une fois, vous avez osé affronter la lutte dans cette commune d'Availles-Limouzine, si républicaine par le cœur et où vous avez été habillé déjà si souvent ! Cette année encore, MM. les réactionnaires, ne vous avaient rien ménagé pourtant pour favoriser votre réussite. Lorsqu'on a su que, grâce à M. Tafforin, le pont d'Availles avait été voté à l'unanimité par le Conseil général, vous avez poussé l'audace jusqu'à faire courir le bruit que tout cela n'était qu'une manœuvre électorale, et qu'il n'y avait rien de vrai. Vos mensonges ne vous ont pas servi à grand chose. Parbleu, les électeurs ont avec raison cru sur parole, leur représentant. Avant tout, nous républicains, aimons les hommes francs, et savons rendre justice à qui le mérite. C'est pourquoi, mon cher Roger, je reconnais en vous un homme courageux. Il est vrai que votre nom a été porté par des héros célèbres. Pour cette raison nous n'avons plus a nous étonner de votre attitude résolue en face du danger. «  A vaincre sans périls on triomphe sans gloire » n'est-ce-pas ?

Je me rappelle que lors de votre arrivée dans les commune, vous avez commencé par monter une cabale, voulant tout renverser. Vous vouliez, disiez-vous «  chasser tous ces ouvriers du conseil municipal » ; l'administration de la commune ne devait appartenir qu'à vous, bourgeois. Devant ces prétentions, un homme très justement estimé dans le canton dont il est le digne et vaillant représentant, et républicain de vieille dote, se mit à la tête de ces «  mêmes ouvriers » vos adversaires. Ils entreprirent la lutte, sans crainte, sans bruit, sans propagande aucune. Les élections eurent lieu et notre petit Roger, encore un enfant à la mamelle, arrivait bon premier sur sa liste avec 25 voix, si je me rappelle bien. Les électeurs avaient réservé à la liste d'opposition le sort qu'elle méritait. Dés lors, mon cher Monsieur, vous pûtes voir que vous n'aviez point affaire à des aveugles. Pourtant, depuis cette époque, vous n'avez pas abandonné l'espoir d'arriver à vos fins. A quoi bon ! Les électeurs, voyez-vous, vous connaissent maintenant. Ils savent et se rappellent que vous et plusieurs de vos amis disiez il n'y a pas encore bien longtemps ; « Nous les verrons venir ces ouvriers d'Availles. Si seulement le blé pouvait valoir 40 fr. le sac. Eh oui, c'est ainsi que vous entendez la charité, vous autres, bons dévots ! A ce propos, je dois adresser quelques paroles à l'un de vos amis, qui se dit votre cousin, M.A.de R... fonctionnaire de la République qui, lui, a dit et redit bien des fois : «  Ces chétifs républicain, eh ! Que voulez-vous qu'ils fassent, ils n'ont pas le sou. C'est nous qui avons toute l'argent ». Vrai, c'est à pouffer de rire ! ... de pitié.

Je me rappelle aussi qu'après les résultats des élections législatives de 1885, vous passiez dans les rues de notre-lieu de canton en disant bien haut : «  Nous les tenons ces républicains ! «  Oui, vous les teniez alors, mais vous n'avez pas eu la poigne bien solide pour les lâcher si vite ! A leur tour ils vous ont pris et vous tiennent solidement. Et l'année prochaine donc ! Nous allons pouvoir faire ensemble une belle partie de chasse à courre. Honneur au piqueur qui arrivera à la prise du cerf ! Mais contre l'usage, la proie ne sera pas partagée.

On a bonne mémoire dans ce canton.

Ajoutez donc votre complet du 1er mai 1892 à ceux que vous avez déjà en garde-robe, et vous finirez par en avoir une collection.

Je conviens, en homme compatissant que c'est bien dur pour un monsieur qui signe avec la particule, d'être régi par des paysans, de ne pouvoir malgré toutes les démarches parvenir à se faire nommer seulement conseiller municipal de sa commune. Ce que vous vous en être fait pourtant de la bile le 1er mai, Dieu le sait ! Pourquoi diable tant se tourmenter quand on est censé connaître ce qui doit arriver ? Vous étiez tout feu tout flamme ! Certes si vous eussiez approché une cartouche de dynamite, vous l'eussiez enflammée par votre seul contact ; Vous mourrez jeune, si vous continuez mon ami ; Ce serait malheureux, car on dit qu'au fond, vous n’êtes pas mauvais garçon. C'est vrai. Donc, calmez-vous, calmez-vous, je vous en prie ; c'est pour votre repos, que je vous parle ainsi.

Ainsi, malgré vous, MM. les ouvriers sont encore conseillers municipaux, et vous, Roger et consorts êtes ce que vous avez toujours été, c'est à dire rien.
Que vous le vouliez ou non, c'est comme cela. Dans 4 ans, vous aurez encore une rude surprise ; la jeune France est là derrière qui pousse. C'est l'avenir. Nous, les grands parents qui avons vu 1848, le crime du 2 décembre et enfin la proclamation de la 3e République pouvons parler avec connaissance de cause. «  Autre temps, autres mœurs. » Le peuple est maître de ses destinées, et certainement il ne sera pas assez naïf pour se remettre pieds et poings liés entre vos mains, réactionnaires, altérées par la soif de la vengeance. Il a, et veut conserver sa souveraineté. Aussi pour ma part, maintenant que je vois le tombeau à mes pieds, ( pensez donc, à 70 ans!), je ne cesse d’exhorter mes enfants et petits enfants à l'amour des grands principes de 89 qui nous ont fait ce que nous sommes : libres et égaux en droits !

 O Révolution, triomphe de l'idée
Par toi, le citoyen prend enfin place au jour ;
Dans l'ère du travail par tous consolidée
Le plus obscur peut être un illustre à son tour.

La Vérité veut qu'on l'écoute,
Qu’importent ceux qu'on laisse en rouge,
Le progrès ne s’arrête pas !

Vous êtes ceux qui restent en route, Messieurs, et malgré vous nous lui dirons à cette République que vous haïssez si fort :

 Tu resteras debout souriante et bénie
Des humbles dont tu veux sécher les tristes pleurs ;
Et tous ceux, en qui bat l'âme de la patrie
Voudront te contempler et t'apporter des fleurs.
Et toi bravant les impostures,
Aux générations futures
Tu diras tes faites triomphants
Mère puissante et magnanime
En prononçant le mot sublime ;
«  Laissez venir à moi tous les enfants ! »

 Oui, ils viendront ces enfants ! Ils viennent déjà, marchant à grands pas dans la voie que leur tracent leurs aînés. Et moi, vieillard à cheveux blancs, je mourrai heureux maintenant, car je suis sûr que la République, cet avenir des peuples, est plus que jamais établie sur des bases solides dans notre chère France.

Ainsi à l'avenir, monsieur, vous avec deux voies pour vous tirer d'affaire et je veux vous les enseigner ; L'une est de rester chez nous à contempler l'image de votre château réfléchie par les eaux du lac qui est au-dessous, et de continuer à défricher vos landes. Ce dernier travail vous sera profitable au moins.

L'autre est que si vous voulez continuer à lutter contre nous, avant de vous mettre en campagne, montez dans votre tour, montez si haut que vous le pourrez afin de bien voir de quel côté souffle le vent ; ayez bien soin de fermer hermétiquement votre lanterne, car un coup de vent pourrait bien souffler la chandelle ! Et ainsi plongé dans l'obscurité vous pourriez vous engager dans une fausse roue et y tâtonner.

Pardonnez-moi, mon cher Roger, de faire peut-être un peu de phraseur, mais cependant croyez en ma vieille expérience.

Maintenant il me reste à vous remercier d'avoir bien voulu m'honorer d'un petit moment d'entretien. J'espère que ma leçon vous aura profité. N'oubliez pas à l'avenir qu'Availles ne veut à aucun prix avoir pour conseiller municipal, un hobereau comme vous.

J'ai l'honneur de vous saluer avec tous les honneurs qui sont dûs à votre rang.

Un bon vieux du jeune temps.

 

 

La Semaine du 05/06/2012

 

Rectification. Nous avons inséré le 26 mai, une lettre signé «  un bon du jeune temps » contenant outre des renseignements inexacts, des insinuations plus que malveillantes et des termes injurieux à l'adresse de l'honorable M. Roger de Mascureau.
Nous regrettons d'avoir publié cette lettre avant d'avoir contrôle les dires de notre correspondant. De plus, il n'est pas entré dans notre pensée de porter en quoi que ce soit atteinte à l'honorabilité de M. De Mascureau qui jouit de l'estime et des sympathies de nos concitoyens.
N.D.L.R.

 

Availles Limouzine 86-Vienne_004

 

 

 

 

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Commentaires
R
Je viens de relire cet article de journal avec intérêt. Pourquoi ? Parce qu'on y ressent toute la violence qui devait exister dans la commune d'Availles, fin 19è, entre d'un côté les républicains et de l'autre les... monarchistes. Quelle haine ! La fracture sociale est terrible. On n'est plus sous la Terreur, mais on en respire les relents ! Les uns dégueulent les autres, les autres, aux dires des uns, écrasent de leur mépris et arrogance les premiers ! En tout cas, l'auteur de la lettre est un fameux harangueur (sincère) de la République. Quel climat ! Merci d'avoir publié cet article.
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