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Mes villages par la presse
17 janvier 2015

Les Gars de Puteaux

16 janvier 1915 ( Le Matin)

Les Gars de Puteaux

Ils se distinguent !

En ce moment-ci, tous les gars de France se ressemblent étrangement. Il est très difficile dans une tranchée de distinguer un Auvergnat d'un Normand, un Gascon d'un Breton. La boue, la glaise, l'argile s'étalent en taches égales sur tous les uniformes, montant jusqu'au képis et aux bérets, couvrant les visages et ne laissant passe que la flamme ds yeux, aiguë et luisante comme une baïonnette.

Petite baïonnette, seul luxe des tranchées, où elle brille d'un vif éclat, astiqué&e et fourbie par des mains pieuses, qui ont mis en elle leur espoir.

Mais voici que courent sur la route – une route détrempée, boueuses, semée de trous d'obus - une série de petites voitures uniformément grises, souples et légères, robuste aussi. Elles s'enfoncent dans les trous, en remontent en bondissant, côtoient des cavaliers, croisent des fourgons de ravitaillement, sans un heurt, sans un accroc, sans perdre leurs distancesAutos mitrailleuses et autos canons en position de tir 1915.

Des tranchées monte un murmure :

    • Voilà des bougres qui savent conduire ! Un officier renseigne ses hommes :

    • Ce sont les gars de Puteaux ! dit-il.

Les petites voitures ont stoppé. Sur chacune d'elles, bien arrimé, bien vissé, se trouve un petit canon, prêt sur son affut à tourner à tous les vents de la bataille ; Il fait plaisir à regarder, ce petit canon, enveloppé pour l'instant dans ses gaines de toile cirée, qui lui couvrent la gueule et la culasse.

    • Faut pas qu'il s'enrhume ! nous dit simplement un de ses seigneurs.

    • Un «  garde à vous ! » retentit. Tous s'immobilisent au pied de leurs voitures ; les mains droites, larges ouvertes, se portent au béret ; les mains gauches tombent dans le rang ; les tailles se redressent, les talons se réunissent.

    • Voici le commandant, murmure à coté de moi une voix où se mêlent l'admiration et le respect.

De tous mes yeux, je regarde le commandant. C'est un lieutenant de vaisseau, aux traits énergiques. Luis-même, au début de la guerre, a choisi son poste.

    • Laissez-moi, dit-il à ss chefs, organiser un petit groupe d'auto-canons, et vous verrez que je ferai bonne besogne.

    • Allez ! dirent les chefs.

 

Des Constructeurs de bonne volonté.

Il vint à Puteaux, sur ses plans, sur ses indication – les marins sont à peu près aptes à tout – on construisit et on arma six petites voitures.

    • Vous êtes content ? Lui demandèrent alors les fabricants.

    • Pas encore !

    • Que désirez-vous ?

    • Des gens pour les conduire.

Ce simple désir était à peine formulé que, dans les ateliers, des voix s'élevèrent :

    • Si vous voulez de moi, mon commandant, à votre entière disposition.

Le lieutenant de vaisseau n'eut que l'embarras du choix, et le voilà parti, avec ses voitures et leur équipage. Et lui même m'a confié :

- En allant à Puteaux, j'avais mon idée. Je ne connaissais jusque-là que les marins bretons. J'ai pour eux une admiration profonde, les sachant capables de tous les sacrifices, jusques et y compris celui de leur vie.

« Allais-je trouver cette même foi patriotique chez les mécanos de Puteaux ». Et très averti du mouvement social de ces dernières années, le lieutenant de vaisseau me parle des mouvements, des grèves, des cahiers où, depuis 1906, les ouvriers parisiens consignaient leurs revendications.

    • Allaient-ils marcher ? Concluait-il.

L'officier de marine fait une brusque volte-face. Il se retourne vers ses hommes et, les englobant dans un même geste rude et bien-veillant :

    • Ces bougres-là, s'écrie-t-il, il faut maintenant que je leur prêche la prudence.

« je dois passer mon temps à leur expliquer que al guerre consiste à tuer et à ne pas se faire tuer. »

Devant cette mercuriale, les hommes sourient. L'un, plus hardi, prononce :

    • Avec vous, mon commandant, il n'y a rien à craindre.

    • Tu es plus têtu qu'un Breton, riposte l'officier.

 

On ne voit pas la gueule qu'ils font ! »

Et, se tournant vers moi :

  • Voulez-vous quelques exemple de leur état d'esprit ? Voici :

  • « Un jour que nos six canons, bien à l'abri, étaient en batterie et tiraient à boulets sûrs, j'entends derrière moi quelqu'un murmurer.

  • Qu'est-ce que tu as, toi ?

  • J'ai, mon commandant, que c'est bien embêtant. On ne voit pas d'ici la sale gueule qu'ils font.

  • Un autre jour, poursuit le lieutenant de vaisseau, nous nous sommes trouvés assez mal pris. Pendant sept heures, malgré nos déplacements fréquents, nous avions été repérés presque immédiatement. Impossible de rien faire, ou presque. Je décide d'aller moi-même aux ordres. Et j'ajoute : « Si, dans une heure, je ne suis pas rentré, vous n'avez qu'à filer. »

  • Je fais quelques pas mais, avant de m'éloigner définitivement, je reviens encore, et crie.

  • Je vous défends surtout d'allumer les phares.

  • Bien, mon commandant, répond ma petite troupe de chœur.

  • C'était une nuit sans étoiles. Deux fois je m'égare. Je marche pendant une heure et demie, un peu au hasard.

  • Tout à coup, je vois, à deux kilomètres de moi, douze grandes clartés. C'étaient les phares de mes voitures qui brûlaient à pleine lumière, un coup à se faire canarder à douze kilomètres de là.

  • Et quand j'arrive, tremblant de colère devant pareille imprudence, les hommes me répondent :

  • Pensez-vous, mon commandant, qu'on allait vous laisser sans lanterne dans ce fichu pays.

  • Nous voici repartis. Les obus, en petite pluie, commencent à tomber autour de nous. Dans une fondrière inaperçue, une roue se casse;Ceux qui sont chargés des réparations se précipitent, mais ils sont lents, bien lents au gré de ceux qui, au volant, attendent le signal du départ.

  • Grouillez-vous, les gars, clament ces derniers.

  • Un de ceux qui, clef anglaise en mai, sont en train de visser le dernier écrou, se relève tranquillement et, flegmatique, énonce :

  • Vous êtes bien pressés, c'est pourtant pas le moment de saboter l'ouvrage.

  • Surtout lorsque l'on est payé un sou par jour, articule au autre avec un accent qui ne se retrouve que dans les ateliers qu'arrose la Seine.

Les voici arrivé à l'étape ; Je viens de Paris, ils le savent.

Vous avez des nouvelles du patelin ? Me demandent-ils.

Oh ! Ce petit patelin, qui part du pont de Puteaux, pour passer sur la grande avenue, et aboutir à l'Arc de Triomphe ; Tous en rêvent. Et ils ne sont pas jaloux, ils ne demandent pas à y passer seuls.

    • Si on allait piqueter un verrot, propose quelqu'un.

    • Volontiers, c'est moi qui paye.

Et levant mon verre :

    • Bonne année ! Mes gars.

    • Vive la France ! Répondirent-ils.

Adrien BOURSE.

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